Cécile Duflot dans "La Décroissance"

Que pensez-vous des élus Verts qui comme à Lyon testent un 4×4 pour un magazine local ou défendent des démonstrations de Formule 1 dans la ville ? Pourquoi des élus Verts participent-ils et cautionnent-ils cette opération de vampirisation de l’écologie politique qu’est le Grenelle de l’environnement ? Les verts sont-ils encore capable de se situer dans un véritable dissensus démocratique ? ont-ils abdiqués ?
Interview de Cécile Duflot (qui ne se laisse pas faire et défend les Verts) dans le numéro de novembre 2007 du mensuel La Décroissance édité par Casseurs de PubAbonnez-vous


 

- Que pensez-vous des élus Verts qui comme à Lyon testent un 4×4 pour un magazine local ou défendent des démonstrations de Formule 1 dans la ville ? (Video YouTube)

Autorisez-moi un petit préambule. Pour acheter et lire régulièrement votre journal, je n’ignore pas combien vous y conspuez régulièrement le parti politique dont je suis secrétaire nationale… Cette attitude se retrouve également dans le ton des questions que vous me posez, ton qui est moins polémique que délibérément provocateur voire agressif. Cela étant, en tant qu’écologiste, donc non-violente et attachée au débat cela ne m’empêche ni de vous lire ni de me sentir proche du projet de société que vous défendez. La lecture de vos questions apporte un élément d’explication à ce « si loin si proche » : jamais, nulle part, je ne prétends que les Verts sont parfaits mais j’essaie également de ne pas partir de points particuliers, chez les autres, pour construire des généralités qui feraient des écologistes les seuls héros sans peur et sans reproches d’une vérité absolue. Je sais ce qu’apportent les élus écologistes aux exécutifs dont ils sont membres, je sais combien ils doivent sans cesse arbitrer entre participer à des décisions, parfois pas totalement satisfaisantes, et se retrancher derrière une vierge vertitude simplement donneuse de leçons. J’assume comme tous les Verts cette participation politique. J’en mesure les conséquences, je regrette les incompréhensions que cela génère et ne suis pas dupe de la mauvaise foi qui va parfois avec. Je reste néanmoins plus que jamais convaincue que la responsabilité des citoyens, c’est de participer au changement de société qui nous évitera de courir toujours plus vite vers le précipice qui se trouve juste derrière le mur de la croissance. Courir en chantant pour ses promoteurs, en pleurant pour ses victimes, bien plus ignorantes que consentantes. C’est pour ça que j’ai choisi de faire de la politique. C’est pour ça que je vous invite à nous rejoindre, pour être plus nombreux à dire à Alain Giordano que ce n’est peut-être pas la meilleure idée au monde que de tester un 4×4 et d’en faire part, même si je n’ai aucun doute sur la sincérité de son engagement à Lyon et son utilité pour orienter la politique de sa ville vers davantage de respect de l’avenir des habitants de notre planète.

- Pourquoi est-ce chez les Verts que l’on trouve des élus qui qualifient les objecteurs de croissance dans leur globalité (d’André Gorz à Albert Jacquard, de Ivan Illich à François Brune) de – et le mot n’est pas trop fort – néofascistes ? Pourquoi est-ce dans ce parti que l’on assiste à une défense acharnée du fordisme ? Nous pensons bien sûr en disant cela à l’élu d’Aix-en Provence qui est présenté par les Verts dans cette ville lors des prochaines élections municipales et par la reprise de ses thèses par d’autres élus des Verts.

En premier lieu, je vous invite à vous rendre dans la rubrique Sonothèque du site des Verts et vous y verrez qu’André Gorz et Ivan Illich y ont toute leur place. Et la semaine prochaine, il est justement prévu qu’Yves Cochet y parle de décroissance. Il est exact que Cyril di Méo (Voir aussi son livre La face cachée de la décroissance) fait partie des Verts qui portent un avis critique sur le mouvement décroissant, même si bien entendu il partage comme tous les écologistes ses objectifs, mais je dois vous apprendre que dans tous les autres partis, les prises de positions sont bien plus virulentes. La formulation de votre question est donc éminemment tendancieuse. Je souhaite qu’en la matière l’information reste honnête et le débat possible. En vous focalisant sur les Verts les plus éloignés de vos positions et en ne tenant pas compte de l’avis de notre assemblée générale qui a adopté une motion sur le sujet en 2004 (à lire), vous faussez l’information qui est pourtant limpide : Les Verts sont bien parmi les quelques partis politiques à parler explicitement de décroissance, en des termes positifs.

Les Verts s’entendent toutes et tous sur l’idée de la finitude des ressources naturelles et de la responsabilité collective de veiller à les économiser dans des proportions qui dépassent ce qui est couramment proposé par les programmes des autres partis politiques.

- Quid des Verts au sujet de la décroissance ? A les observer, les Verts raisonnent majoritairement dans une optique technicienne type développement durable et beaucoup plus rarement dans la perspective politique antiproductiviste et partageuse de la décroissance. Par exemple, les Verts assurent la promotion du TGV.

Je pense que vous n’avez peut-être pas écouté avec suffisamment d’attention les discours qui ont été portés pendant les campagnes présidentielle et législatives. Très régulièrement nous expliquons que le productivisme et la course à la croissance – entendue comme croissance « économique » évidemment – sont les dangers mortels de nos sociétés. Sur la question du transport ferroviaire, nous ne cessons de dire que l’organisation volontaire de l’obsolescence du réseau secondaire au profit d’une politique du tout TGV n’est pas conforme à notre vision de l’avenir. La position des Verts, de manière synthétique, est de dire que le TGV ne doit être développé que sur des axes où il doit remplacer le transport aérien et/ou permettre le développement des TER et du fret ferroviaire et que nous refusons tous les projets pharaoniques « pompant » toutes possibilités d’investissement sur les lignes classiques (en particulier pour le développement des TER) et le fret ferroviaire. Dans les Conseils Régionaux, ce sont d’ailleurs le plus souvent les Verts qui insistent sur les crédits à accorder aux TER, qui soutiennent, voire obtiennent des ré-ouvertures de ligne comme Caen-Flers, Laval-Mayenne ou Sablé-Segré-Chateaubriant (ça manquait un peu comme exemple dans votre question, non ?).

- La ligne politique conjuguant environnementalisme et capitalisme personnifié par Daniel Cohn-Bendit semble très importante chez les Verts. Prisonniers de leur composition sociale, les Verts sont-ils condamnés, à l’image du parti socialiste, à proposer comme horizon à leurs concitoyens des logiques environnementaliste d’accompagnement du capitalisme, du productivisme, de la croissance ?

Dans chaque mouvement, et c’est le cas chez les Verts, qui ont hérités d’une tradition libertaire pas inintéressant même si elle est parfois dure à « gérer » la libre expression est possible. C’est le cas de Dany. Je ne sais pas comment vous pouvez mesurer que cette ligne politique « semble très important ». Je vous renvoie aux décisions et prises de positions décidées démocratiquement – et largement majoritaires – de notre mouvement. La vérité est ainsi que depuis toujours les Verts affirment sans hésitation qu’ils sont antiproductivistes et que leur objectif n’est pas de faire de l’écologie d’accompagnement. Je ne voudrais pas paraître désagréable, mais tout de même, vous ne cessez de vouloir nous coller des étiquettes ou des positions qui sont totalement en décalage par rapport à ce que nous sommes. Je n’y cherche pas une raison cachée, ce serait avoir mauvais esprit, je vous invite juste à nous lire. Je dis bien « nous ».

- Pourquoi des élus Verts participent-ils et cautionnent-ils cette opération de vampirisation de l’écologie politique qu’est le Grenelle de l’environnement ? Les verts sont-ils encore capable de se situer dans un véritable dissensus démocratique ? Ont-ils abdiqués ? Cela n’aurait-il pas été leur rôle d’organiser le « Contre-Grenelle de l’environnement » plutôt que d’envoyer leurs élus contribuer au Grenelle de Nicolas Hulot et Nicolas Sarkozy ?

Il y avait des Verts au contre Grenelle que vous organisiez, même s’ils n’étaient pas là en tant que représentants officiel du parti. De même que les quelques Verts qui participent à des groupes de travail du Grenelle ne sont pas non plus mandatés par les Verts : les partis politiques ne participant pas en tant que tels. Les Verts qui y participent travaillent pour que le Grenelle n’accouche pas d’une souris, si c’est le cas et les dernières évolutions vont dans ce sens, ils seront aux premières loges pour le dénoncer. Ca ne nous rend pour autant pas plus dupes que vous ou moi sur l’opération d’enfumage sarkozienne, même s’il en sortira peut-être quelques mesures positives… qui ne nous feront pas oublier la nature profondément anti-écolo du gouvernement Sarkozy-Fillon.

- Les représentants des Verts ont signé le « Pacte écologique » de Nicolas Hulot. Pourquoi ne pas avoir plutôt signé le « Pacte contre Hulot » ?
Vous pensez comme Nicolas Hulot que l’on pourra faire de l’écologie avec François Pinault ou le lobby patronal « Croissance plus » et sans avoir la volonté de se confronter à eux ?

Les Verts n’ont pas signé le pacte de Nicolas Hulot. Des Verts l’ont fait à titre individuel, comme d’autres Verts ont signés aussi le pacte contre Hulot. Il est difficile de juger dès aujourd’hui les conséquences de cette démarche même si beaucoup d’entre nous étaient réservés sur des engagements pris par des politiques dont toute l’action jusqu’alors prouvait le contraire de ce à quoi ils semblaient s’engager.

- Pourquoi les Verts soutiennent-il l’opération de communication Velib’ du publicitaire JCDecaux ? Est-ce par adhésion à la perspective de la « société de consommation verte » ?

Deux tribunes signées par des élus Verts en charge des questions de transport sont parues dernièrement dans la presse pour réclamer dans les villes la création d’un service public du vélo. A Paris, nous aurions évidemment préféré qu’il y ait dissociation du marché publicitaire et du marché des vélos. Velib a permis de démontrer la pertinence d’un projet de mise à disposition de vélos en ville. Les Verts auraient souhaité que cela soit possible dans un autre cadre, l’accord avec Decaux résulte, comme je l’expliquais en introduction d’un compromis mais il n’a pas fait mollir les Verts dans leur combat anti-pub et notamment pour réguler celle-ci drastiquement.

C’est pour cela que pour soutenir un véritable projet écologiste pour Paris, il faut soutenir Denis Baupin. Plus le poids des Verts sera fort, plus les compromis seront en faveur de l’écologie !

- Pourquoi cette incapacité à devenir un mouvement populaire ?

Si j’avais la réponse, nous le serions déjà. Ce que nous proposons est révolutionnaire, véritablement. Cela demande des efforts individuels, des réorganisations radicales de la société. Nous n’avons pas d’exonérations fiscales à vendre ni de « travailler plus pour gagner plus » à proposer. Quand vous titrez « Consommez moins pour vivre plus », j’adhère, car c’est ce que nous disons tous les jours. Je n’y ai, tout comme les Verts, pas pour autant renoncé. Nous y travaillons chaque jour et les échéances des municipales sont un moment essentiel de partage, au plus près des réalités locales de ce projet.

Peut-être – je dis bien peut-être – aussi, que le dénigrement systématique de certains qui sont très proche de nous mais plus radicaux, moins complets parfois sur l’un ou l’autre des aspects de notre programme, n’aide pas non plus à la diffusion populaire de l’écologie politique.

Je m’en arrête là, même si j’ai le plus honnêtement possible répondu à cette interview aux petits airs de procès j’apprécierais beaucoup que nous puissions organiser un moment réel d’échange et de dialogue, sur nos éventuelles divergences, votre vision de ce que doit être l’engagement politique. J’espère que cela pourrait être un élément de réponse concret à votre dernière question.


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