Retour sur la création des Verts (1984) (texte de Didier Anger)
Quelques mois après la fondation de Europe Ecologie Les Verts il me semblait interessant de faire un bond dans le passé pour revenir sur la création des Verts en 1984.
Petit exposé fait par Didier Anger aux journées d’été 2010 à Nantes.
Il revient notamment un peu sur Lalonde, le vrai Ni Ni (ni libéralisme ni collectivisme) et les débuts des Verts.
La création des VERTS( 1983-1986)
Didier ANGER
Brosser en quelques minutes les moments importants de la création des VERTS en France ne peut quʼaboutir à un exposé réducteur et non exhaustif d’une vision personnelle d’événements et de réflexion collective dont j’ai été l’une des actives parties prenantes.
Revenons d’abord au sens du mot “écologie” :
Le mot “environnement” existe depuis lʼAntiquité et la lutte pour la défense de
l’environnement était déjà abordée par PLINE à propos de lʼérosion des sols liée à ladéforestation en pays méditerranéen.
Le mot “ écologie” a été inventé par HAECKEL, à la fin du XIXe, influencé par le Darwinisme et la philosophie allemande. Issu du grec( milieu, habitat et discours, raison), ilsignifie une vision plus globale du Monde et lʼon peut le définir comme le fait d’habiter raisonnablement le Monde.
Lʼécologie ne peut donc se résumer à la défense de lʼenvironnement à laquelle beaucoup ont voulu ou voudraient encore la restreindre mais élargit son champ dʼanalyse et dʼaction:
➡ aux relations de lʼ être humain avec la nature;
➡ aux relations de ces derniers entre eux : cʼest à dire les rapports sociaux ( Homme/femme, sociologie et formes du travail, consommation etc…)
➡ aux relations des sociétés entre elles ( rapports Nord-Sud, guerre et paix)
Rien dʼétonnant donc à ce quʼil prenne une dimension politique globale.
L’apparition de L’Ecologie politique se situe entre les années 1960 et 1980 et prend ses racines :
✓ Dans la philosophie et la sociologie : dans la non violence d’un Gandhi ou d’un Martin Luther King, dans Illich, “Socialisme ou barbarie”, André GORZ pour nʼen citer que quelques uns ;
✓ Dans l’avant et l’après “ 68” avec :
‣ une composante Tiers Mondiste, anti-capitaliste, anti-colonialiste;
‣Une composante anti-centraliste ( “ Small is beautiful”) et anti-bureaucratique;
‣ une composante “médiatique” : publications multiples “Hara Kiri hebdo- Charlie hebdo, la Gueule ouverte, le Sauvage, APRE-HEBDO et le premier “Ecologie” mais aussi des radios libres.
✓ Dans les luttes auto-gestionnaires et/ou antimilitaristes d’alors : LIP, le LARZAC, mais aussi
SOLIDARNOSC…
✓ Dans les luttes anti-nucléaires ( Fessenheim, Plogoff, Malville, La Hague…) : non seulement sur des bases environnementales mais aussi pour la santé publique et les rejets zéro, contre le centralisme et le capitalisme dʼétat autant que privé, lʼautoritarisme, lʼétat policier, la militarisation du travail.
Cʼest donc sur des bases idéologiques diverses mais non contradictoires que sʼest développée
lʼécologie politique.
1 Faut-il le rappeler : la mouvance était critique quant aux modèles organisationnels et très méfiante par rapport aux phénomènes bureaucratiques qu’ils génèrent : cela avait abouti au refus de la pérennisation des structures de rassemblement, à la création d’organisations limitées dans l’objectif et le temps:
• en 74 avec DUMONT,
• EN 78, “ ECOLOGIE 78” pour les Législatives de la même année,
• “ EUROPE ECOLOGIE” pour la première élection européenne au suffrage universel avec Solange FERNEX comme tête de liste et moi-même en 3 ème position et où apparaît dans les textes internes, la notion de projet écogestionnaire,
• puis “ Aujourd’hui l’ÉCOLOGIE” en 1981 avec BRICE LALONDE après la brève tentative de création du MEP ( Mouvement dʼécologie politique).
Le projet éco-gestionnaire faisait référence aux luttes les plus avancées et visait à dépasser ce que Marxisme et anarchisme du XIXe siècle avaient inventé, en dépassant lʼauto-gestion ouvrière et en faisant intervenir les usagers-consommateurs dʼune part, et dʼautre part, les riverains victimes ou non des nuisances et pollutions.
LA CRÉATION D’UNE STRUCTURE PÉRENNE, “LES VERTS” ( SANS LES LALONDIENS) INTERVIENT EN 1983-1984:
Dans lʼaprès-élection de MITTERRAND apparaît la nécessité de la construction dʼune structure pérenne, déjà acceptée en 1983, et sanctionnée à CLICHY, fin janvier 1984.
Il sʼagit en fait de la fusion entre la “ Confédération écologiste”, plus régionaliste et mouvementiste ( autour des Bretons, Normands et Comtois) et du Parti écologiste, plus centraliste et partidaire ( autour des Alsaciens et Rhodaniens surtout).
La prédominance, dans les instances nationales, revenait aux Régions ( 3/4 des élus sur
mandat de leur région avant le CNIR et amovibles ) et 1/4 des représentants élus sur des listes de tendances au cours de lʼAssemblée Générale annuelle.
La fusion était incomplète puisque les Lalondiens sʼen trouvaient exclus dʼeux-mêmes.
Une fraction lalondienne des Amis de la terre conditionnait son adhésion :
1. sur le fond, à lʼabandon de lʼopposition au nucléaire civil et militaire;
2. Sur la tactique électorale, à une alliance avec deux amis de Mitterrand : les Radicaux de Gauche, Maurice FAURE, et de Droite: Edgar Faure pour former une liste que Lalonde devait diriger.
Il sʼagissait de créer par en haut un centre pour bâtir un nouvel allié au PS que le Parti Communiste abandonnait seul au pouvoir.
Subsidiairement, Mitterrand favorisait la montée de LE PEN pour que la Droite dérape vers lʼExtrême droite et ouvre la place à ce “ nouveau centre”, pas très nouveau…
Lalonde formait sa liste en juin 1984 avec STIRN et DOUBIN ( ERE ou LSD) qui auront chacun leur récompense en devenant ministres en 1988.
Le rapport de force entre les VERTS et ERE se manifeste à Clichy dans lʼélection des futures têtes de liste pour les élections européennes: Didier ANGER et Solange FERNEX obtiennent autour de 500 voix alors que les Lalondiens obtenaient entre 60 et 68 voix.
Le “ ET, ET” avec le centre Droit et le Centre Gauche était repoussé.
2 Le NI-NI était de fait, adopté.
Le Ni Droite, Ni Gauche signifiait “ NI capitalisme privé ( libéralisme) modèle américain prôné par la Droite, Ni Capitalisme d’Etat ( Bureaucratique) modèle russe, porté avec des nuances entre le PCF et un PS encore partisan des nationalisations. Ceci sous-tendait comme acquis mais non écrit le projet éco-gestionnaire.
Le social comme le nucléaire était au centre de nos préoccupations. En témoigne la première brochure qui portait sur un meilleur partage du travail et des revenus ( brochure à laquelle Yves Cochet et les Bretons ont beaucoup contribué).
Mais cette conception radicale du” Ni Droite, Ni Gauche” formulée de façon trop ambiguë n’était pas forcément acquise par l’ensemble du mouvement.
Ainsi Antoine Waechter me rencontrait-il pour me demander-sans succès- de me rapprocher de Brice Lalonde : son “NI-NI “était en fait proche du” ET-ET”. Il refusait de figurer sur la liste de Verts Europe Écologie de juin 1984. Cʼest dʼailleurs cette même interprétation centriste du NI-NI qui devait aux municipales de 1989 conduire ses seconds, lʼun, Duval, à sʼentendre avec le PS, SUEUR à Orléans et lʼautre, Duchêne, avec leGaulliste, Chaban-Delmas, à Bordeaux.
Le débat sur la définition du” ni-Droite, ni Gauche” devait continuer après lʼélection de juin 1984, où nous avions, quoique non élus, fait mieux que lʼopération LSD.
La majorité autour dʼYves COCHET, de moi-même, sʼappuyant sur le fait que ce qui restait du PSU et des alternatifs nous avait soutenu parfois davantage que certains adhérents verts, entamait des rencontres pour élargir les forces militantes. En effet, nous avions conscience que la stratégie “Ni Droite-Ni Gauche” pouvait conduire soit à un centrisme mou, soit à une dérive suffisante et sectaire des VERTS, peu crédible sʼil sʼagissait de la conquête en solitaires du pouvoir et encore plus sûrement à un isolement ultra-minoritaire.
Prendre le pouvoir seul, même de façon non violente, peut conduire à une dérive totalisante.
Comment concevoir alors une éventuelle alliance à gauche?
-Difficilement avec les divers Trotskysmes sauf ponctuellement sur certaines luttes, même si certains comme Félix Guattari le souhaitaient,
– irréalisable alors avec le PCF, notamment sur lʼénergie qui était un point central de notre programme à lʼépoque;
– Avec le PS? Cela supposait une autre attitude de ce dernier ( En 1985, Le Rainbow Warrior était coulé sous le Gouvernement FABIUS, Hernu servant de fusible).
Si cela devait se faire, ce ne pouvait être que sur une base contractuelle, sans contradiction entre programme immédiat et buts à long terme.
Les conceptions waechteriennes devaient momentanément lʼemporter après les élections régionales de 1986.
2 ans après la création des VERTS, seuls trois VERTS étaient élus aux Régionales:
Antoine Waechter et Andrée Buchman en Alsace, et moi-même en Basse Normandie.
Beaucoup approchaient les 5% fatidiques.
Antoine exploitait cet échec en lʼimputant à lʼerreur de stratégie qui consistait à rechercher lʼélargissement et/ou lʼalliance à Gauche.
3
25 ans après, quels enseignements et réflexions pour les VERTS de 2010 et EUROPE ECOLOGIE aujourd’hui ?
Certes la situation du Monde nʼest plus bipolaire comme celle de 1984-1986 mais lʼécologie politique apparaît bien à la croisée des chemins.
Personnellement, comme beaucoup, je suis dans lʼexpectative quant aux évolutions de la mouvance.
1°Si lʼaddition des luttes permet parfois de réussir électoralement et momentanément, elle ne peut constituer un mouvement politique solide.
Le nucléaire ne peut se réduire à la question environnementale et énergétique. Il induit un choix de société, militarisée, policière, centralisée, il hypothèque l’avenir de l’humanité, la lutte anti-nucléaire doit rester l’un des fondements de l’organisation, surtout dans une période de relance et de renforcement d’un pouvoir de type bonapartiste et policier. Elle ne doit pas être seconde par rapport à la lutte contre le changement climatique et l’effet de serre instrumentalisée par ce pouvoir centralisateur.
2° Aucun mouvement politique ne peut survivre et modifier le cours des choses sans un projet économico-social. La contre partie de ce qu’on appelle pudiquement mondialisation et non plus capitalisme ou impérialisme n’est pas dans le verdissement du capitalisme sans vouloir changer les rapports sociaux. Le capitalisme vert ne sera pas la solution à la crise. La logique de la lutte contre le centralisme réside dans la décentralisation non seulement géographique mais aussi dans la déconcentration du pouvoir économique.
3°Aucun mouvement politique ne peut survivre sans stratégie particulière en direction des catégories sociales concernées par lʼécogestion potentielle dʼune part et sans tactique dʼautre part.
Si lʼon est obligé dans le contexte institutionnel électoral français de rechercher des alliances, deux exigences sont fondamentales:
– Peser soi-même assez fort dans le rapport des forces avec lʼautre ou les autres.
– Ne contractualiser que sur des bases non contradictoires avec les objectifs poursuivis.
Lʼalliance pour lʼalliance nʼaurait aucun sens si ce nʼest celui dʼ un opportunisme qui ne viserait quʼà la recherche des rentes personnelles ou de parti, ce dont se méfiait si fort, et à juste titre, le mouvement à sa création.
Nantes, le 20 août 2010
Journées dʼété Europe Écologie